samedi 19 septembre 2015

Les filles paumées ont les jambes arquées



Les filles paumées ont souvent les jambes arquées.

Quand le quotidien crasseux ne m'atteignait pas encore, que j'avais l'minou du ventre gonflé d'amour pour Lui et qu'il m'aimait fort, je rigolais et je prenais des airs de petite péronnelle devant ces filles-là.
Elles avaient toujours la même silhouette, des quilles maigres moulées dans un jean qui se perdait dans des gros godillots. Leurs bombers rouge Scholl, semblable à la carapace molle d'une grosse tortue abattue, suffisait à peine à leur donner du volume et elles avançaient ainsi, l'échine écarlate, courbées sur les poignées de la poussette où beuglait une grossesse non désirée.
Sous la pluie, bravant le vent et les hurlements de bébé Moise, mon unique mission de la journée consistait à me rendre au Coccimarket pour aller chercher les gâteaux de Jourrier. Pour sa pause. Et dans le reflet de la vitre du magasin, j'avais vu la maigre tortue.
Peut-être bien qu'on fait pas exprès de devenir le cliché dont on se moquait autrefois.
Pour ma part, c'était devenu un choix. Une nécessité.
De l'orgueil sans doute.
Je crois que j'avais moins de remord à faire crever la beauf arquée que j'étais devenue qu'à supporter les cris d'agonies de la princesse que je fus.

En ce dimanche matin, Jourrier se la pétait avec des lunettes carrées. Après m'avoir sorti des chapelets de conneries sur l'inutilité et le non rendement de l'écriture, analysé ma vie passée, celle d'avant lui, à se marrer de mes idéaux de p'tite bobo discount, il avait chopé l'un de mes bouquins dans les quelques reliques que j'avais conservées.

"Mais pour conclure, je dis et je maintiens qu'il n'y a pas de meilleur torche-cul qu'un oison bien duveteux, pourvu qu'on lui tienne la tête entre les jambes.
Croyez-m'en sur l'honneur, vous ressentez au trou du cul une volupté mirifique, tant à cause de la douceur de ce duvet qu'à cause de la bonne chaleur de l'oison qui se communique facilement du boyau du cul et des autres intestins jusqu'à se transmettre à la région du cœur et à celle du cerveau.
Ne croyez pas que la béatitude des héros et des demi-dieux qui sont aux Champs Elysées tienne à leur asphodèle, à leur ambroisie ou à leur nectar comme disent les vieilles de par ici.
Elle tient, selon mon opinion, à ce qu'ils se torchent le cul avec un oison "

Il releva sa vieille tête vers moi, jobard.
  • J'ai pas compris la fin mais c'est marrant! On dirait toi, l'oisillon tout doux.
  • ...Ah oui...

Je ne sais pas si ce fut le bruit sec de la mandale que Jourrier administra sur ma fesse ou l'écho de sa phrase sur l'oisillon qui me firent péter les plombs mais je partis à trembler de tous mes membres.
La colère m'étouffait tellement que je sentais la bave aux babines. Le torche-cul 2.0 c'était moi. 

J'en avais torché des ego de mâle alpha afin que rien ne vienne écailler les vernis des demi-dieux. J'en avais soupé des beignes aux ventricules, des égorgements à sec dans le mielleux des je t'aime, des routes de l'abandon sitôt la fin des vacances. Mais j'en avais plus rien à foutre, j'avais détruit la fille d'avant, j'avais moi-même déplumé l'oisillon et bourré ma bouche avec pour me faire fermer mes mièvreries. J'avais enflé, enflé, j'étais devenue Gargantua et mes amants maudits, mes amours terribles, mes Jésus charismatiques et mes uppercuts systématiques pour les plus cons des maîtres à jouir, ben je les avais bouffés.

Jourrier ne remonterait jamais les Champs Elysées, il ne réveillerait ni l'oisillon ni ne voudrait en connaître sur sa croupe la sensation. Je ne serai plus heureuse. Je ne serai plus jamais heureuse. Et dans un élan désespéré de reconnaissance et de désespoir, j'attrapai la mèche footballistique de sa nuque et me jetai avidement sur sa bouche, lapant au goulot la saveur douce et insipide de ma rédemption.


Plus jamais l'oisillon.

lundi 24 août 2015

Elle est sous la bagnole, Simone.

Photo: Simone de Beauvoir

La passivité face à la rébellion ne peut être reprochée qu'à ceux qui souffrent. L'enlisement immobilise. Se révolter, c'est pas une histoire de bourgeois intello parce que les oppressés s'en foutent mais parce que ces derniers crèvent sous les yeux des premiers. Et ça...ben ça fait pas très joli.

Moi j'irai crier au scandale et je monterai au créneau pour toutes les bonne-femmes quand j'aurai la force de me lever après les roustes de mon Paulo. Les genoux pétés, c'est pas évident. 

samedi 22 août 2015

C'était ça être grand

Photo: Lou Sully

Il était là avec ses petits soldats en plastoc et s'il ne jouait pas un monde imaginaire c'était que reproduire la guerre représentait le seul schéma qu'il connaissait afin de n'avoir pas à choisir lequel de ses jouets tenir. Choisir. Etranger que ce mot dans son cerveau, Gab. 

Même alors que ses troufions se mettaient dessus, il préférait toujours l'option explosion pour faire éclater les deux camps, ou son dinosaure aux yeux rouges qui marchait tout seul pour les manger tous, tout, tout plutôt que de se prononcer sur les gagnants du combat. Pas par souci de neutralité, non. Parce que perdre l'angoissait. Et on perdait inéluctablement quand on choisissait. C'était ça être grand. 

Alors dans tout cela, ce n'était pas moi, la petite. Il avait décidé de me tuer uniquement pour me garder. Pour pouvoir fouler encore toutes les plates-bandes semées de ses chemins sans jamais dire au revoir à la moindre d'entre elles. Gaby mettait ses mains en coupole et aimait ramasser tous ses jouets à la fois. C'était lui, l'enfant. Certainement pas moi.



jeudi 20 août 2015

La gale aux dents

Photo: Lou Sully

Ta langue qui pique et tes yeux voilés.
Le vin, le vin de tes baisers.
Et même aussi les crispations frénétiques de tes mains d'idole
Tracent la poudre cadavérique dans mes reins d'échandole.
Il y eut le sommeil sans cauchemars alors
Sans le moindre de ton amour d'aurore
Je hais la nuit qui ment.

Ta moue qui nique mes papillons vitreux.
Le pus, le pus de ton humus verreux
Qui étouffe mes exhortations orgasmiques de tes saintes paroles
Vorace ta foudre homérique à me rendre folle
A pleine bouche tu arraches mes soupirs biaisés
Quand viendra ton souffle sur ma peau apaisée
J'aurai déjà la gale aux dents.



vendredi 14 août 2015

Empaler les biches

Photo: Martin Waldbauer

- Roger, la vie ça prépare pas les types comme moi à empaler des biches.
Imagination. Repli de défense. Urgent besoin de déni. Cela pouvait être, et c'était souvent ce que son imagination choisissait, une salle d'attente d'ophtalmo. L'escalier à la barre invisible, le plancher qui craquait, les magazines de Femmes Actuelles négligemment dérangés sur la petite table au centre des chaises en perdition...c'était une ambiance qui lui allait. Dans un coin, une caisse de cubes en bois et un chien jaune à roulettes constituaient l'espace d'attente des enfants. Bien droit sur sa chaise, il observait les jambes en collants des dames se croiser et se décroiser ou les mains nerveuses des messieurs tourner les pages des hors-séries "spécial ventre plat".
S'ensuivait alors un processus de mise en condition qui lui soulevait la pilosité d'aise. Il s'imaginait rentrer chez lui, à la campagne, cuisiner une blanquette. Prendre une douche bien chaude puis traîner en pantoufles, la lumière allumée à 18h, le bruit de fond du Lepers dans le salon, la perspective enfin...d'un présent repu et d'un lendemain sans surprise.
- Tu veux dire que c'est devenu ta passion? La chasse...
- Je veux dire que je connaissais ta fille, Roger.

mardi 11 août 2015

Les Soupop' ont pas le temps pour ces conneries


Roger faisait le bruit des grands-pères lapant la soupe en buvant sa mousse. C'était agaçant. Gaby se demandait comment ce type aux airs de basset avait pu donner naissance à son trésor. La Véro, il l'avait vue avachie sur le canapé lorsqu'il était monté déposer la petite dans son lit et elle n'envoyait pas franchement du rêve.

  • T'es communiste toi?
  • Pardon?
  • David m'a dit ça. Il paraît que tu étais cadre avant...même vachement bien placé...donc c'est vrai qu'on peut se demander...Coco ou viré, alors?

Pour la première fois, Gaby vit Roger sourire et il résista à la furieuse envie de lui choper sa houppette pour composer du jus de narine contre le rebord de la table. Il ne voyait pas de rapport logique dans son raisonnement et le vieux parlait trop. Migraine. Grands traits en travers du front. Tailler la bavette avec cet homme commençait à lui poser un cas de conscience désagréable. Sa compagnie lui donnait la gerbe mais les maillons de la culpabilité compressaient sa gorge chaque fois qu'il discernait dans son regard le vide qu'il y avait placé.

  • Pas spécialement communiste, non...Une reconversion plutôt...murmura t-il, gêné, en faisant tourner son alliance du bout des doigts.
  • Ah. Oui, c'est bien ça, avoir le courage de recommencer. Moi j'y crois pas vraiment à cette histoire de communisme, qu'on gagne tous pareil, qu'on partage, tout ça...
  • C'est une belle valeur, non?
  • C'est de l'hypocrisie bonhomme, répondit-il, sérieux tout à coup, s'adressant à lui dans un étrange élan paternaliste. Ils me font rire ceux qui disent qu'il faut partager, qu'il faut aider son prochain, qu'on devrait tous êtres égaux, c'est facile à dire quand tu manques de rien. Ou déjà quand t'as le temps d'y penser. Moi mon père, il disait que communiste c'est une idée de riches, quand tu sais pas si tu vas bouffer le lendemain et si tes gosses auront du lait, t'en as rien à foutre de partager, faut déjà trouver. Je suis pas contre l'idée, moi tu vois...Mais faut être réaliste.
  • Le communisme, c'est quand même un mouvement ouvrier...
  • Ah ça aussi ça m'fait marrer, populaire, le peuple, les ouvriers tout ça...Le peuple, c'est quoi? Des ouvriers syndiqués. Tu sais combien ça coûte d'être syndiqué? Mais y en a du monde sous le peuple, ceux qu'ont pas de quoi acheter le pouvoir de se faire représenter, on appelle ça les Soupop' ici, et ils ont pas le temps pour toutes ses conneries de grandes idées, ils cherchent juste de quoi bouffer. C'est pas démago, ça existe, mais c'est caché par les grandes naches des populos. Bref tout ça pour dire...

Roger avala une grande rasade de bière et Gaby observait, fasciné, sa pomme d'Adam rouler dans le gras de sa gorge.

  • C'est beau de vouloir tout recommencer...J'me suis dit ça aussi avant de retrouver ma gosse...Maintenant qu'elle est morte, ça n'a plus vraiment de sens. Trouver la force de continuer ce sera déjà pas mal...

Il regarda Gaby en hochant le menton, un léger sourire timide au coin de la lèvre. Pas un sourire, plus un assentiment, une reconnaissance.

  • C'est vachement sympa pour la bière...


Gaby acquiesça, mâchoires serrées. Le souvenir de la délicieuse innocence de la petite lui fila l'envie de chialer comme un gamin.

jeudi 6 août 2015

Un trésor, un carton.



Vider sa maison d'enfance c'est la claque brutale qui te montre tout ce qui disparaît. Ce qui ne sera plus. Finalement cela te montre aussi ce qui n'a jamais été. Tu ressors tes affaires d'enfant mais tes yeux n'ont plus la saveur pour savoir les voir comme il le faudrait.
Doudou est minuscule. Il pue. Loin, loin de la chose que vous aimiez le plus au monde au parfum unique, orgasmique, des dodos sans cauchemars. Il n'existe plus et vous non plus. Plus comme ça.
Etre adulte et avancer, en définitive, c'est quotidiennement, inlassablement, vider sa maison d'enfance. Et le mec est minuscule. Et il pue. Loin, loin de la personne que vous aimiez le plus au monde, au parfum magique, orgasmique, des dodos lupanars.
Regarder ses trésors dans un carton c'est se dire qu'inéluctablement la vie n'est que ça. Un trésor. Un carton. Un trésor. Un carton.
Au carton mon trésor, alors.
C'était un peu ce que Gaby se disait, là, devant le carton posé sur la table basse de sa chambre d'hôtel. Lorsqu'il l'avait ramené de chez Roger, il avait d'abord rougi violemment en reconnaissant l'écriture ronde et délicate. Puis la peur dans le bide s'était insinuée, face de rongeur pris en faute, langue de serpent frétillant de l'apex entre les lèvres, il avait regardé successivement à gauche à droite se sachant pourtant seul. Et il demeurait comme un con, épluchant les peaux de ses mains délicates d'intello sans oser l'ouvrir.
Il n'était plus rentré à la maison depuis qu'il avait rendu la petite. Les appels de sa femme se succédaient. Demain, il avait rendez-vous à l'usine de chemises cartonnées.